Début 2022, l’ensemble de la société a poussé un grand soupir de soulagement. Après une troisième vague de vaccination, la pandémie de coronavirus semblait enfin surmontée, les nombres de décès de personnes infectées et de contaminations s’inscrivant durablement en baisse. Mais un tel soulagement ne fut que de courte durée, de nouveaux défis apparaissant déjà à l’horizon.
Causes de l’inflation en 2022
Dans le sillage de la crise financière de 2008, au cours de la dernière décennie, les banques centrales ont, à travers leurs taux négatifs, injecté d’énormes quantités d’argent dans la masse monétaire. Alors que l’on s’attendait à une poussée d’inflation, cela ne s’est alors pas produit.
La pandémie de Covid-19 s’atténuant, la consommation a redémarré, alors que certains secteurs de l’économie n’étaient pas préparés à une telle reprise. Un peu partout, les mesures de lutte contre la pandémie ont entraîné des ruptures au sein des chaînes d’approvisionnement et une pénurie de matériaux et de biens de consommation en a découlé. Par ailleurs, un grand nombre de travailleurs se sont détournés des secteurs économiques les plus touchés par les mesures liées au coronavirus. La demande de biens et de services devenant alors supérieure à l’offre, une reprise de l’inflation a alors commencé à se faire sentir.
De nombreuses métropoles en Chine sont encore soumises à des mesures de confinement. L’économie chinoise est paralysée et de nombreuses chaînes d’approvisionnement demeurent interrompues. Dans le même temps, la guerre en Ukraine a débouché sur des sanctions économiques contre la Russie, entraînant à leur tour une hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. La réduction voire la cessation de l’approvisionnement en pétrole et en gaz de la Russie à l’Occident a entraîné une flambée des prix de l’énergie, engendrant une menace de pénurie en gaz et en électricité. L’exclusion de la Russie du commerce avec l’Occident a pour conséquence une diminution des exportations alimentaires russes. Par ailleurs, le littoral ukrainien de la mer Noire a été miné, limitant également les exportations de produits alimentaires en provenance d’Ukraine. L’inflation, déjà perçue en 2021, a alors bénéficié d’une large poussée. En réponse, les banques centrales ont abandonné leur politique de taux d’intérêt négatifs, les relevant parfois très fortement.
A quoi les assureurs vie et les caisses de pensions doivent-ils s’attendre?
L’existence de l’inflation est une réalité. Quelles que soient les perspectives de son évolution, les assureurs vie et les caisses de pensions doivent se poser les questions suivantes:
- Quel est, de manière générale, le niveau d’exposition des assurés à l’inflation?
- Quelle est leur propension au risque?
- Y a-t-il des seuils au-delà desquels le risque lié à l’inflation devient insupportable?
- Quel sera l’impact de l’inflation sur le besoin en capitaux?
- Faut-il prendre des mesures d’atténuation en limitant les ventes ou en modifiant le mix de portefeuille au moyen d’incitations à la vente?
Risques liés à l’inflation pour les produits d’assurance vie et d’assurance accidents
Le risque lié à inflation peut avoir un impact sur les produits d’assurance de différentes manières. Les compagnies d’assurance peuvent se constituer une vue d’ensemble de leur exposition à l’inflation, en passant en revue leur gamme de produits. Pour les produits soumis à une vente active, il existe des moyens d’agir notamment à travers des modifications de produits ou l’Underwriting.
Effets directs de l’inflation sur les prestations et les dommages assurés
L’inflation impacte directement les produits d’assurance par le biais d’une éventuelle augmentation des salaires. Si les salaires augmentent, les prestations assurées augmentent également, car elles dépendent directement du salaire déclaré. Parallèlement, les primes augmentent car, dans l’assurance-vie collective comme dans l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie et l’assurance-accidents, elles sont généralement fixées à un taux de prime calculé en fonction du salaire. Le risque inflationniste découlant de l’augmentation de prestations est ainsi compensé par des primes plus élevées.
Dans l’assurance accidents, des salaires plus élevés peuvent également se traduire par des coûts médicaux plus élevés, par exemple, lorsque les salaires augmentent dans le secteur de la santé.
L’inflation a également un autre effet direct: le coût de l’ajustement des rentes en cours dans l’assurance accidents ou les caisses de pensions.
Comme les primes des produits d’assurance-accidents et d’assurance-vie collective (assurance de groupe) sont généralement indexées sur la somme des salaires sous la forme d’un taux de prime ou que les promesses de prestations sont définies soit en termes absolus, soit entièrement en fonction du salaire, l’éventuelle augmentation des salaires n’impacte que très marginalement les caisses de pension ou les assureurs-vie. Il en va de même si le taux de prime d’un contrat de réassurance est lié aux prestations d’invalidité. Dans le secteur de l’assurance individuelle, les prestations sont définies indépendamment du salaire. Une inflation à venir n’aura donc aucun impact direct sur la charge des sinistres escomptée.
En revanche, les produits de réassurance en excédent de sinistres («excess of loss») sont particulièrement exposés à l’inflation. L’augmentation des salaires accroît à la fois la fréquence des sinistres escomptée et le montant des sinistres, si la franchise n’est pas indexée sur l’inflation.
Impact indirect via les hausses de taux d’intérêt
- Habituellement, les banques centrales réagissent à l’inflation en relevant leurs taux.
- Tous les produits d’assurance vie avec des parties épargne ainsi que les produits d’assurance accidents et vie avec prestations sous forme de rente sont exposés aux taux d’intérêt. Pour les rentes en cours en particulier, il convient d’examiner quels seraient les risques d’un éventuel réajustement sur l’inflation des prestations sous forme de rente afin d’en garantir le financement.
Que nous enseigne le passé?
La crise financière de 2007-2008 et l’évolution économique qui en a découlé dans les années suivantes, ont eu des répercussions très différentes sur la situation de chaque pays. Ainsi, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont été touchés par une grave récession, tandis que la Belgique, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et la Suisse n’ont enregistré qu’un léger ralentissement. L’Allemagne et l’Australie n’ont connu elles aucune récession.
Force est de constater qu’aucune relation générale n’a été observée entre la charge des sinistres dans l’assurance invalidité et la situation économique d’un pays. Dans certains pays, on constate cependant une corrélation entre la sinistralité dans le secteur de l’invalidité et la situation économique. Ainsi, la probabilité d’une invalidité ou la probabilité de la fin d’une invalidité est fortement liée à la définition des prestations ou à l’interaction avec les assurances sociales. Or celles-ci diffèrent d’un pays à l’autre.
Si l’incidence des sinistres dans certains segments et marchés a fortement dépendu de la situation économique et en particulier du chômage, et qu’elle s’est donc inscrite en hausse suite à la crise financière (par ex. en France, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande), certains marchés ont enregistré une augmentation différée de l’incidence des sinistres après la récession économique. Dans d’autres pays, aucune corrélation n’a été observée entre l’environnement économique du marché, en particulier le chômage, et les sinistres liés à l’invalidité.
Dans l’ensemble, on constate toutefois que, dans le contexte international, les taux de cessation des sinistres d’invalidité («claim termination rates») ont réagi plus vite à la crise financière que les taux d’invalidité. D’une manière générale, on a observé une réactivation moins rapide des cas de sinistres et un allongement de la durée des prestations, dont il a découlé une augmentation globale de la charge des sinistres.
On a également pu constater que les affaires groupées étaient plus sensibles à l’environnement économique que les affaires individuelles. Au vu des portefeuilles analysés, cela est peut-être dû à l’exposition disproportionnée des affaires groupées au secteur financier. Etant donné qu’il est difficile de prédire quels segments sectoriels seront les plus touchés en cas de prochaine crise économique, il pourrait s’avérer avantageux, dans le cadre de l’assurance de groupe, de répartir aussi équitablement que possible un portefeuille entre les différents segments. Les compagnies d’assurance y parviennent en appliquant les directives d’Underwriting correspondantes et en pratiquant la différenciation des prix.
Perspectives: risques et opportunités pour les assureurs vie
L’inflation n’est pas seulement un risque difficile à calculer, elle peut aussi être une opportunité, en particulier lorsqu’elle est associée à une hausse des taux d’intérêt. Cela peut s’avérer bénéfique à la constitution d’affaires nouvelles avec les réserves correspondantes.
La hausse des taux d’intérêts peut également soulager la situation au niveau du 2e pilier. Le taux de conversion fixé par les instances politiques pour le régime obligatoire entraînerait moins de perte technique, voire aucune, concernant les futures conversions en rentes, si les taux d’intérêt pouvant être obtenus au moyen de prêts obligataires étaient supérieurs au taux d’intérêt technique implicite. La redistribution des produits des placements de la population active vers les bénéficiaires de rentes serait ainsi réduite, voire stoppée.
Dans un portefeuille de placements, l’inflation peut en revanche exercer un impact négatif, en raison par exemple d’une hausse des taux hypothécaires. Si les débiteurs hypothécaires n’étaient plus en mesure d’assumer les nouvelles hausses des taux des hypothèques lors du renouvellement de celles-ci, une crise immobilière pourrait en découler, conduisant à une dévaluation des biens immobiliers, et en premier lieu les immeubles de rendement que l’on retrouve dans les bilans des assurances et des caisses de pensions. Une crise immobilière peut déstabiliser d’autres secteurs (p. ex. les banques, le secteur de la construction) et entraîner l’économie dans une récession. Dans un tel contexte, il convient de garantir une bonne gestion des actifs et des passifs.
Une hausse de l’inflation n’impacte pas de la même manière les différents segments sectoriels. Compte tenu de l’existence d’une certaine corrélation entre la hausse de l’inflation, le chômage et la charge des sinistres dans l’assurance invalidité, le secteur de l’assurance serait bien avisé de cibler un portefeuille équilibré entre les différents segments sectoriels au moyen d’un Underwriting actif. Cela permet de limiter le plus efficacement possible l’impact d’une récession économique sur la sinistralité d’un portefeuille de polices invalidité.
Perspectives d’inflation (référence à sigma, mars 2022)
Auteurs:
- Bruno Catarino, actuaire ASA, CERA, MSc Math. à l’EPF, Head Product & Pricing chez elipsLife Suisse/Liechtenstein
- Claude Schwarz, actuaire ASA, physicien diplômé de l’EPF, directeur chez Swiss Re