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echo-Interview, septembre 2017

Les vieux piquent aujourd’hui les rentes des jeunes

ELIPSLIFE ECHO - DES ENTRETIENS AVEC DES PERSONNALITÉS DE L'INDUSTRIE

Les vieux piquent aujourd’hui les rentes des jeunes

ELIPSLIFE ECHO - DES ENTRETIENS AVEC DES PERSONNALITÉS DE L'INDUSTRIE

Les vieux piquent aujourd’hui les rentes des jeunes

echo-Interview avec Karl Enzler, président du conseil d’administration d’Enzler Reinigungen AG

Monsieur Enzler, vous êtes un spécialiste de la propreté. En Suisse, la propreté, c’est comme le chocolat et les montres. Dirigez-vous une entreprise typiquement suisse?
Karl Enzler: Oui, nous sommes une PME typiquement suisse. Nous accordons plus d’importance au développement durable qu’à la croissance et nous considérons qu’il est primordial d’avoir un positionnement clair sur le marché. La Suisse est notre marché domestique et nous nous efforçons de souligner l’importance du thème de la propreté. 


Le public perçoit le marché du nettoyage comme un secteur marqué par les petites et moyennes entreprises. Cette impression reflète-t-elle vraiment la réalité ou ce marché est-il dominé par de grandes entreprises comme la vôtre?

Les petites entreprises sont extrêmement nombreuses en Suisse dans le secteur du nettoyage, mais ce ne sont pas elles qui déterminent le marché. Celui-ci est beaucoup plus influencé par les moyennes et grandes entreprises. Pour moi, notre entreprise (qui compte environ 2700 collaborateurs) est une grande entreprise, mais seulement parmi les moyennes. Nous ne sommes pas une grosse entreprise. Les grandes sont les multinationales, qui emploient cinq fois plus de personnes que nous.

 

echo-Interview, September 2017

Qu’est-ce qui différencie votre entreprise de la concurrence?
Notre différence essentielle, c’est notre positionnement sur le marché. En tant qu’entreprise de nettoyage, nous recherchons des niches. Nous évitons ainsi la concurrence, c’est-à-dire les multinationales du domaine. Nous travaillons par exemple beaucoup pour l’industrie pharmaceutique, où nous nous sommes spécialisés dans le nettoyage de l’«intérieur» des installations pharmaceutiques et biotechnologiques. Nous avons pu asseoir dans ce secteur un fort positionnement de marché en Suisse. Plutôt que de nous contenter de vider les corbeilles à papier et de nettoyer les toilettes, nous recherchons donc des niches complexes.

Les stratégies de niche innovantes sont des recettes à succès pour les PME suisses...
Oui, les entreprises suisses qui réussissent innovent. C’est typique. C’est particulièrement vrai dans notre secteur, car les aspirateurs fonctionnent aujourd’hui de la même manière qu’il y a 50 ans et il n’y a pas encore de robots nettoyeurs. On travaille toujours beaucoup à la main. Dans le nettoyage, par conséquent, innover, ce n’est pas inventer et utiliser des machines permettant d’effectuer le travail plus vite ou mieux, mais trouver des niches innovantes et profitables.

echo interview with Karl Enzler, Chairman of the Board of Directors of Enzler Reinigungen AG

La Enzler Holding AG se compose de quatre entreprises. L’une d’elles est spécialisée dans le domaine de l’hôtellerie. En quoi le nettoyage dans les hôtels diffère-t-il des autres?

Le nettoyage dans les hôtels est spécial et tout à fait comparable à celui effectué dans les hôpitaux. Contrairement aux immeubles de bureaux, que nous nettoyons en principe quand les salariés ne travaillent pas, nous travaillons dans les hôtels au sein d’environnements fréquentés en permanence par des clients. Il nous faut dans ces lieux des collaborateurs différents, capables de s’occuper des clients. Le niveau de standing de l’établissement a en effet une influence sur l’apparence de nos employés. C’est ainsi qu’ils doivent par exemple porter dans un hôtel quatre étoiles des tenues particulières et adopter des attitudes différentes de celles qu’ils auraient dans un deux étoiles. C’est ce qu’attendent tant nos mandants que leurs hôtes. Sur le plan organisationnel, les mandats de nettoyage dans les hôtels sont aussi plus contraignants que les autres car ces établissements ont des taux d’occupation divers qui nous obligent à flexibiliser notre planification. Alors que nous avons toujours besoin dans les immeubles de bureaux d’un nombre sensiblement égal de collaborateurs, il faut peut-être, pour nettoyer un hôtel, 20 personnes aujourd’hui, 30 demain et seulement 15 la semaine prochaine, en fonction du taux d’occupation des lits.

La Enzler Reinigungen AG existe depuis 1935. Comment le secteur du nettoyage a-t-il évolué depuis un peu plus de 80 ans?

Je ne suis dans le métier que depuis 27 ans, de sorte que je ne peux parler que de cette période. Lorsque j’ai commencé, on avait encore de la qualité une vision totalement différente de celle qui prévaut aujourd’hui. En Suisse, on nettoyait alors presque quotidiennement tout. Les entreprises multinationales, en particulier, ont ensuite commencé à comparer leurs coûts de nettoyage et se sont demandé combien coûtait un mètre carré de bureau nettoyé à Zurich, Francfort ou Londres. Lorsqu’elles ont constaté que cette tâche coûtait plus cher à Zurich, la norme en vigueur en la matière dans les bureaux suisses a été sérieusement revue à la baisse. Ce travail, que nous réalisions auparavant cinq fois par semaine, est devenu bihebdomadaire, puis hebdomadaire quelques années plus tard. La tendance est aujourd’hui de n’effectuer certaines tâches de nettoyage que toutes les deux semaines. En Suisse, on a en principe adapté la norme dans ce secteur à celle en vigueur au niveau européen.

Ceci ne concerne de toute évidence pas que les bureaux, n’est-ce pas?

La norme en vigueur en matière de nettoyage en Suisse a été partout abaissée au cours des 25 dernières années. Prenons l’exemple des transports en commun: alors que les chemins de fer suisses étaient auparavant considérés comme les plus propres d’Europe, c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Autre exemple: dans un même immeuble de bureaux, nous employions il y a 25 ans entre 30 et 40 collaborateurs pour le nettoyage courant, contre 15 aujourd’hui. C’est aussi ce qui ressort des devis émis: on estimait autrefois qu’un collaborateur ou une collaboratrice pouvait nettoyer 40 m2 de toilettes en une heure de travail; on calcule désormais qu’il ou elle est capable d’en laver le double dans le même temps.

Karl Enzler in an echo-interview

L’histoire de votre entreprise est celle d’une réussite. Vous appartenez à la 3e génération de ses dirigeants. Quelles sont, selon vous, les clés du succès d’une entreprise?

Cela dépend de son secteur. Dans notre domaine, il est certain que nous avons besoin d’une compétence sociale. Nos collaborateurs sont issus de 65 pays au total et ont des niveaux de formation totalement différents. Si on veut bien diriger ces personnes – ce qui est très important pour réussir dans le nettoyage – il faut pouvoir se mettre à leur place. Une entreprise qui n’y arrive pas ne peut pas fournir un travail de qualité. Nous aspirons à entretenir avec nos clients des relations de long terme. Nous travaillons déjà avec beaucoup d’entre eux depuis plus de 30 ans. Pour nous, c’est plus important que de disposer d’un important département marketing à même de décrocher le plus de contrats possible. Nous ne pouvons cependant construire ces liens que si nous arrivons à faire en sorte que nos collaborateurs soient très stables.

Le secteur du nettoyage emploie comme celui de l’hôtellerie beaucoup de monde mais fait partie de ceux où les salaires sont modestes. Quelle place y occupe la prévoyance professionnelle?


C’est justement dans les secteurs à salaires modestes que la prévoyance professionnelle est très importante. L’explication est simple: dans le 1er pilier, celui de l’AVS public, la différence entre les rentes n’est pas vraiment pertinente. Et dans le 3e, les employés des secteurs à bas salaires n’ont véritablement que peu de chances d’accumuler un gros capital. C’est pourquoi nous nous concentrons sur le 2e pilier, qui, pour beaucoup de nos collaborateurs, fait une grande différence.

Le thème de la prévoyance joue-t-il un rôle pour les nouvelles embauches?

Certes, c’est un sujet, mais malheureusement seulement pour les gens qui ont atteint un certain âge. Il faudrait cependant que le 2e pilier suscite l’intérêt des jeunes justement, car il leur permet d’accumuler une fortune considérable jusqu’à leur retraite.

La Suisse dispose d’un excellent système de prévoyance vieillesse qui, avec ses trois piliers, associe prévoyance publique et privée. Ce système reposant sur le principe des trois piliers va-t-il continuer à s’imposer dans le futur?

J’espère beaucoup que ce système à trois piliers se maintiendra et qu’on ne cherchera pas à affaiblir le 2e au profit du 1er. Pour renforcer ce 2e pilier, il faut cependant que les entreprises et les collaborateurs s’y intéressent davantage. La loi sur la prévoyance professionnelle est aujourd’hui devenue une industrie géante et de plus en plus régulée. C’est pourtant justement dans ce domaine qu’il faudrait davantage responsabiliser les individus. Les caisses de pension sont en effet des fondations: elles peuvent donc être comparées à des associations, car comme ces dernières, elles fonctionnent essentiellement grâce à l’engagement de leurs adhérents.

Comment la caisse de pension d’Enzler Reinigungen AG est-elle régie?

Nous n’adhérons plus à une fondation collective. Nous avons désormais deux fondations propres. Aujourd’hui, nous faisons de nouveau beaucoup de choses nous-mêmes. Nous voulons que nos collaborateurs s’emparent du sujet, et nous entendons assumer nous-mêmes la responsabilité des services que nos fondations proposent. Nous nous concentrons à cet effet sur les coûts, car il est désormais impossible d’obtenir de forts rendements sans prendre de risques exagérés. On ne peut cependant maintenir de faibles coûts qu’en faisant soi-même beaucoup de choses. La régulation exerce malheureusement là aussi une influence négative. L’industrie de la LPP est toujours plus régulée, ce qui génère des coûts énormes. Les rapports d’experts qui sont exigés l’illustrent bien: pour une entreprise, l’important, c’est uniquement qu’elle fonctionne bien. Les commentaires des experts, souvent rédigés sur plusieurs pages, ne sont pas pertinents et ne justifient en aucun cas qu’on les paye plusieurs milliers de francs. C’est pourquoi il est décisif, dans l’environnement actuel, que les coûts engagés restent faibles.

Qu’entendez-vous par «faire soi-même»?

Cela commence par le règlement, que nous élaborons nous-mêmes. Nous avons aussi un comité et une stratégie de placement propres et nous discutons nous-mêmes de nos placements. Nous réalisons aussi en interne de nombreuses tâches administratives. Les collaborateurs représentés au Conseil de fondation doivent bien connaître le système pour pouvoir participer de façon compétente à la prise de décision concernant notre stratégie. Cela nécessite que toutes les personnes qui coopèrent dans ce cadre prennent des initiatives et s’engagent. C’est, avec l’attention que nous portons aux coûts, la clé de notre réussite. Nos performances sont régulièrement meilleures que celles de l’indice de taux d’intérêt des institutions collectives de prévoyance, et ce, non pas parce que nous nous y connaissons mieux en matière de placements, mais parce que nos coûts sont plus faibles.

Karl Enzler, Chairman of the Board of Directors of Enzler Reinigungen AG

Le projet de réforme Prévoyance vieillesse 2020 qui a été adopté au Parlement et sur lequel nous serons appelés à nous prononcer en septembre est-il discuté dans votre entreprise?

Oui, bien sûr. Beaucoup de nos collaborateurs sont étrangers et ne pourront donc naturellement pas aller voter, mais nous estimons que le sujet est important et nous voulons que les gens soient informés. Cette votation nous concerne tous.

Faut-il impliquer les retraités dans l’assainissement du système de prévoyance ou considérer comme tabous les droits acquis une fois à une rente?

Pour moi, rien n’est tabou. Le 2e pilier est dans cette entreprise l’affaire de son dirigeant et de ses collaborateurs. Il est inadmissible que l’État décide si ce type de sujet est tabou ou non. Il peut le faire pour l’AVS, mais pas pour le 2e pilier, dont les rentes doivent s’adapter à la situation économique. On dit que les rentes sont «piquées». Cette expression est certes habile, mais elle est comprise dans le mauvais sens. «Piquer les rentes», cela ne signifie pas que les rentes qui ont été prévues à un moment donné doivent être modifiées en raison de changements économiques. Cette expression décrit en fait plutôt ce qui se passe de nos jours: les retraités actuels piquent toutes les rentes qui serviront à l’avenir à constituer les retraites. En termes plus clairs, les vieux piquent aujourd’hui les rentes des jeunes. Ce n’est pas juste.

Quels sont actuellement, selon vous, les plus grands défis pour le 2e pilier?

On régule toujours plus, ce qui augmente considérablement les coûts pour les fondations. Il faudrait à l’inverse instaurer un cadre que les adhérents des caisses puissent comprendre.

Vieillissement de la population et intérêts bas mettent les caisses de pension sous pression. Feront-elles, et nous tous par la même occasion, les frais de ces promesses de prestations impossibles à financer?

La démographie a évolué de façon extrêmement marquée: il n’est plus rare, aujourd’hui, d’atteindre l’âge de 85 ou 90 ans. Notre entreprise connaît, à l’égard des conséquences de ce phénomène, une situation spéciale. Beaucoup de nos collaborateurs préfèrent en effet se constituer un capital plutôt qu’une rente. Nous les y encourageons, car ils sont nombreux à vouloir rentrer au pays et y acquérir un logement lorsqu’ils prendront leur retraite. Cela facilite les choses pour la fondation car moins il y a de rentes, c’est-à-dire plus l’argent circule par voie de constitution de capital, plus la fondation peut voir facilement ce phénomène dans son ensemble. Nous avons beaucoup plus d’adhérents que de rentiers, ce qui réduit nos dépenses, et donc aussi nos coûts.

Si vous pouviez donner un conseil aux caisses de pension, quel serait-il?

Je conseillerais aux caisses de ne pas se laisser totalement dicter leur conduite, mais de chercher plutôt à préserver leur autonomie. Elles doivent aussi susciter l’intérêt des adhérents et des futurs retraités. Ce n’est que lorsque de nombreux salariés d’une entreprise s’impliquent dans le fonctionnement d’une caisse et la contrôlent eux-mêmes qu’on peut empêcher les abus et s’opposer à une régulation croissante et coûteuse.

NOTES SUR LA PERSONNE
Karl Enzler
Président du conseil d’administration d’Enzler Reinigungen AG

Karl Enzler, né en 1957, est le petit-fils de Karl Enzler senior, fondateur de l’entreprise. Il a étudié l’ingénierie mécanique à l’école d’ingénieurs ETH de Zurich. Diplômé en 1983, il a d’abord travaillé comme ingénieur commercial pour les clients industriels chez IBM Suisse. En 1991, il est retourné à l’ETH pour y étudier les sciences naturelles de l’environnement pendant quatre semestres. Entré en 1993 chez Enzler Reinigungen AG, il a pris la tête de l’entreprise en 1994 avant de devenir président du conseil d’administration en 1996. Il a ainsi succédé à son père, qui avait dirigé l’entreprise pendant plus de 30 ans. En 1997, Karl Enzler a fondé la Enzler Holding AG, qui compte quatre filiales. Il a élargi le secteur du nettoyage de bâtiments à des offres de niche dans le domaine spécifique de l’hygiène destinées à l’industrie et à la santé. Karl Enzler a deux filles adultes.

echo-Interview avec Karl Enzler

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Monsieur Enzler, vous êtes un spécialiste de la propreté. En Suisse, la propreté, c’est comme le chocolat et les montres. Dirigez-vous une entreprise typiquement suisse?
Karl Enzler: Oui, nous sommes une PME typiquement suisse. Nous accordons plus d’importance au développement durable qu’à la croissance et nous considérons qu’il est primordial d’avoir un positionnement clair sur le marché. La Suisse est notre marché domestique et nous nous efforçons de souligner l’importance du thème de la propreté. 


Le public perçoit le marché du nettoyage comme un secteur marqué par les petites et moyennes entreprises. Cette impression reflète-t-elle vraiment la réalité ou ce marché est-il dominé par de grandes entreprises comme la vôtre?

Les petites entreprises sont extrêmement nombreuses en Suisse dans le secteur du nettoyage, mais ce ne sont pas elles qui déterminent le marché. Celui-ci est beaucoup plus influencé par les moyennes et grandes entreprises. Pour moi, notre entreprise (qui compte environ 2700 collaborateurs) est une grande entreprise, mais seulement parmi les moyennes. Nous ne sommes pas une grosse entreprise. Les grandes sont les multinationales, qui emploient cinq fois plus de personnes que nous.

 

echo-Interview, September 2017

Qu’est-ce qui différencie votre entreprise de la concurrence?
Notre différence essentielle, c’est notre positionnement sur le marché. En tant qu’entreprise de nettoyage, nous recherchons des niches. Nous évitons ainsi la concurrence, c’est-à-dire les multinationales du domaine. Nous travaillons par exemple beaucoup pour l’industrie pharmaceutique, où nous nous sommes spécialisés dans le nettoyage de l’«intérieur» des installations pharmaceutiques et biotechnologiques. Nous avons pu asseoir dans ce secteur un fort positionnement de marché en Suisse. Plutôt que de nous contenter de vider les corbeilles à papier et de nettoyer les toilettes, nous recherchons donc des niches complexes.

Les stratégies de niche innovantes sont des recettes à succès pour les PME suisses...
Oui, les entreprises suisses qui réussissent innovent. C’est typique. C’est particulièrement vrai dans notre secteur, car les aspirateurs fonctionnent aujourd’hui de la même manière qu’il y a 50 ans et il n’y a pas encore de robots nettoyeurs. On travaille toujours beaucoup à la main. Dans le nettoyage, par conséquent, innover, ce n’est pas inventer et utiliser des machines permettant d’effectuer le travail plus vite ou mieux, mais trouver des niches innovantes et profitables.

echo interview with Karl Enzler, Chairman of the Board of Directors of Enzler Reinigungen AG

La Enzler Holding AG se compose de quatre entreprises. L’une d’elles est spécialisée dans le domaine de l’hôtellerie. En quoi le nettoyage dans les hôtels diffère-t-il des autres?

Le nettoyage dans les hôtels est spécial et tout à fait comparable à celui effectué dans les hôpitaux. Contrairement aux immeubles de bureaux, que nous nettoyons en principe quand les salariés ne travaillent pas, nous travaillons dans les hôtels au sein d’environnements fréquentés en permanence par des clients. Il nous faut dans ces lieux des collaborateurs différents, capables de s’occuper des clients. Le niveau de standing de l’établissement a en effet une influence sur l’apparence de nos employés. C’est ainsi qu’ils doivent par exemple porter dans un hôtel quatre étoiles des tenues particulières et adopter des attitudes différentes de celles qu’ils auraient dans un deux étoiles. C’est ce qu’attendent tant nos mandants que leurs hôtes. Sur le plan organisationnel, les mandats de nettoyage dans les hôtels sont aussi plus contraignants que les autres car ces établissements ont des taux d’occupation divers qui nous obligent à flexibiliser notre planification. Alors que nous avons toujours besoin dans les immeubles de bureaux d’un nombre sensiblement égal de collaborateurs, il faut peut-être, pour nettoyer un hôtel, 20 personnes aujourd’hui, 30 demain et seulement 15 la semaine prochaine, en fonction du taux d’occupation des lits.

La Enzler Reinigungen AG existe depuis 1935. Comment le secteur du nettoyage a-t-il évolué depuis un peu plus de 80 ans?

Je ne suis dans le métier que depuis 27 ans, de sorte que je ne peux parler que de cette période. Lorsque j’ai commencé, on avait encore de la qualité une vision totalement différente de celle qui prévaut aujourd’hui. En Suisse, on nettoyait alors presque quotidiennement tout. Les entreprises multinationales, en particulier, ont ensuite commencé à comparer leurs coûts de nettoyage et se sont demandé combien coûtait un mètre carré de bureau nettoyé à Zurich, Francfort ou Londres. Lorsqu’elles ont constaté que cette tâche coûtait plus cher à Zurich, la norme en vigueur en la matière dans les bureaux suisses a été sérieusement revue à la baisse. Ce travail, que nous réalisions auparavant cinq fois par semaine, est devenu bihebdomadaire, puis hebdomadaire quelques années plus tard. La tendance est aujourd’hui de n’effectuer certaines tâches de nettoyage que toutes les deux semaines. En Suisse, on a en principe adapté la norme dans ce secteur à celle en vigueur au niveau européen.

Ceci ne concerne de toute évidence pas que les bureaux, n’est-ce pas?

La norme en vigueur en matière de nettoyage en Suisse a été partout abaissée au cours des 25 dernières années. Prenons l’exemple des transports en commun: alors que les chemins de fer suisses étaient auparavant considérés comme les plus propres d’Europe, c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Autre exemple: dans un même immeuble de bureaux, nous employions il y a 25 ans entre 30 et 40 collaborateurs pour le nettoyage courant, contre 15 aujourd’hui. C’est aussi ce qui ressort des devis émis: on estimait autrefois qu’un collaborateur ou une collaboratrice pouvait nettoyer 40 m2 de toilettes en une heure de travail; on calcule désormais qu’il ou elle est capable d’en laver le double dans le même temps.

Karl Enzler in an echo-interview

L’histoire de votre entreprise est celle d’une réussite. Vous appartenez à la 3e génération de ses dirigeants. Quelles sont, selon vous, les clés du succès d’une entreprise?

Cela dépend de son secteur. Dans notre domaine, il est certain que nous avons besoin d’une compétence sociale. Nos collaborateurs sont issus de 65 pays au total et ont des niveaux de formation totalement différents. Si on veut bien diriger ces personnes – ce qui est très important pour réussir dans le nettoyage – il faut pouvoir se mettre à leur place. Une entreprise qui n’y arrive pas ne peut pas fournir un travail de qualité. Nous aspirons à entretenir avec nos clients des relations de long terme. Nous travaillons déjà avec beaucoup d’entre eux depuis plus de 30 ans. Pour nous, c’est plus important que de disposer d’un important département marketing à même de décrocher le plus de contrats possible. Nous ne pouvons cependant construire ces liens que si nous arrivons à faire en sorte que nos collaborateurs soient très stables.

Le secteur du nettoyage emploie comme celui de l’hôtellerie beaucoup de monde mais fait partie de ceux où les salaires sont modestes. Quelle place y occupe la prévoyance professionnelle?


C’est justement dans les secteurs à salaires modestes que la prévoyance professionnelle est très importante. L’explication est simple: dans le 1er pilier, celui de l’AVS public, la différence entre les rentes n’est pas vraiment pertinente. Et dans le 3e, les employés des secteurs à bas salaires n’ont véritablement que peu de chances d’accumuler un gros capital. C’est pourquoi nous nous concentrons sur le 2e pilier, qui, pour beaucoup de nos collaborateurs, fait une grande différence.

Le thème de la prévoyance joue-t-il un rôle pour les nouvelles embauches?

Certes, c’est un sujet, mais malheureusement seulement pour les gens qui ont atteint un certain âge. Il faudrait cependant que le 2e pilier suscite l’intérêt des jeunes justement, car il leur permet d’accumuler une fortune considérable jusqu’à leur retraite.

La Suisse dispose d’un excellent système de prévoyance vieillesse qui, avec ses trois piliers, associe prévoyance publique et privée. Ce système reposant sur le principe des trois piliers va-t-il continuer à s’imposer dans le futur?

J’espère beaucoup que ce système à trois piliers se maintiendra et qu’on ne cherchera pas à affaiblir le 2e au profit du 1er. Pour renforcer ce 2e pilier, il faut cependant que les entreprises et les collaborateurs s’y intéressent davantage. La loi sur la prévoyance professionnelle est aujourd’hui devenue une industrie géante et de plus en plus régulée. C’est pourtant justement dans ce domaine qu’il faudrait davantage responsabiliser les individus. Les caisses de pension sont en effet des fondations: elles peuvent donc être comparées à des associations, car comme ces dernières, elles fonctionnent essentiellement grâce à l’engagement de leurs adhérents.

Comment la caisse de pension d’Enzler Reinigungen AG est-elle régie?

Nous n’adhérons plus à une fondation collective. Nous avons désormais deux fondations propres. Aujourd’hui, nous faisons de nouveau beaucoup de choses nous-mêmes. Nous voulons que nos collaborateurs s’emparent du sujet, et nous entendons assumer nous-mêmes la responsabilité des services que nos fondations proposent. Nous nous concentrons à cet effet sur les coûts, car il est désormais impossible d’obtenir de forts rendements sans prendre de risques exagérés. On ne peut cependant maintenir de faibles coûts qu’en faisant soi-même beaucoup de choses. La régulation exerce malheureusement là aussi une influence négative. L’industrie de la LPP est toujours plus régulée, ce qui génère des coûts énormes. Les rapports d’experts qui sont exigés l’illustrent bien: pour une entreprise, l’important, c’est uniquement qu’elle fonctionne bien. Les commentaires des experts, souvent rédigés sur plusieurs pages, ne sont pas pertinents et ne justifient en aucun cas qu’on les paye plusieurs milliers de francs. C’est pourquoi il est décisif, dans l’environnement actuel, que les coûts engagés restent faibles.

Qu’entendez-vous par «faire soi-même»?

Cela commence par le règlement, que nous élaborons nous-mêmes. Nous avons aussi un comité et une stratégie de placement propres et nous discutons nous-mêmes de nos placements. Nous réalisons aussi en interne de nombreuses tâches administratives. Les collaborateurs représentés au Conseil de fondation doivent bien connaître le système pour pouvoir participer de façon compétente à la prise de décision concernant notre stratégie. Cela nécessite que toutes les personnes qui coopèrent dans ce cadre prennent des initiatives et s’engagent. C’est, avec l’attention que nous portons aux coûts, la clé de notre réussite. Nos performances sont régulièrement meilleures que celles de l’indice de taux d’intérêt des institutions collectives de prévoyance, et ce, non pas parce que nous nous y connaissons mieux en matière de placements, mais parce que nos coûts sont plus faibles.

Karl Enzler, Chairman of the Board of Directors of Enzler Reinigungen AG

Le projet de réforme Prévoyance vieillesse 2020 qui a été adopté au Parlement et sur lequel nous serons appelés à nous prononcer en septembre est-il discuté dans votre entreprise?

Oui, bien sûr. Beaucoup de nos collaborateurs sont étrangers et ne pourront donc naturellement pas aller voter, mais nous estimons que le sujet est important et nous voulons que les gens soient informés. Cette votation nous concerne tous.

Faut-il impliquer les retraités dans l’assainissement du système de prévoyance ou considérer comme tabous les droits acquis une fois à une rente?

Pour moi, rien n’est tabou. Le 2e pilier est dans cette entreprise l’affaire de son dirigeant et de ses collaborateurs. Il est inadmissible que l’État décide si ce type de sujet est tabou ou non. Il peut le faire pour l’AVS, mais pas pour le 2e pilier, dont les rentes doivent s’adapter à la situation économique. On dit que les rentes sont «piquées». Cette expression est certes habile, mais elle est comprise dans le mauvais sens. «Piquer les rentes», cela ne signifie pas que les rentes qui ont été prévues à un moment donné doivent être modifiées en raison de changements économiques. Cette expression décrit en fait plutôt ce qui se passe de nos jours: les retraités actuels piquent toutes les rentes qui serviront à l’avenir à constituer les retraites. En termes plus clairs, les vieux piquent aujourd’hui les rentes des jeunes. Ce n’est pas juste.

Quels sont actuellement, selon vous, les plus grands défis pour le 2e pilier?

On régule toujours plus, ce qui augmente considérablement les coûts pour les fondations. Il faudrait à l’inverse instaurer un cadre que les adhérents des caisses puissent comprendre.

Vieillissement de la population et intérêts bas mettent les caisses de pension sous pression. Feront-elles, et nous tous par la même occasion, les frais de ces promesses de prestations impossibles à financer?

La démographie a évolué de façon extrêmement marquée: il n’est plus rare, aujourd’hui, d’atteindre l’âge de 85 ou 90 ans. Notre entreprise connaît, à l’égard des conséquences de ce phénomène, une situation spéciale. Beaucoup de nos collaborateurs préfèrent en effet se constituer un capital plutôt qu’une rente. Nous les y encourageons, car ils sont nombreux à vouloir rentrer au pays et y acquérir un logement lorsqu’ils prendront leur retraite. Cela facilite les choses pour la fondation car moins il y a de rentes, c’est-à-dire plus l’argent circule par voie de constitution de capital, plus la fondation peut voir facilement ce phénomène dans son ensemble. Nous avons beaucoup plus d’adhérents que de rentiers, ce qui réduit nos dépenses, et donc aussi nos coûts.

Si vous pouviez donner un conseil aux caisses de pension, quel serait-il?

Je conseillerais aux caisses de ne pas se laisser totalement dicter leur conduite, mais de chercher plutôt à préserver leur autonomie. Elles doivent aussi susciter l’intérêt des adhérents et des futurs retraités. Ce n’est que lorsque de nombreux salariés d’une entreprise s’impliquent dans le fonctionnement d’une caisse et la contrôlent eux-mêmes qu’on peut empêcher les abus et s’opposer à une régulation croissante et coûteuse.

NOTES SUR LA PERSONNE
Karl Enzler
Président du conseil d’administration d’Enzler Reinigungen AG

Karl Enzler, né en 1957, est le petit-fils de Karl Enzler senior, fondateur de l’entreprise. Il a étudié l’ingénierie mécanique à l’école d’ingénieurs ETH de Zurich. Diplômé en 1983, il a d’abord travaillé comme ingénieur commercial pour les clients industriels chez IBM Suisse. En 1991, il est retourné à l’ETH pour y étudier les sciences naturelles de l’environnement pendant quatre semestres. Entré en 1993 chez Enzler Reinigungen AG, il a pris la tête de l’entreprise en 1994 avant de devenir président du conseil d’administration en 1996. Il a ainsi succédé à son père, qui avait dirigé l’entreprise pendant plus de 30 ans. En 1997, Karl Enzler a fondé la Enzler Holding AG, qui compte quatre filiales. Il a élargi le secteur du nettoyage de bâtiments à des offres de niche dans le domaine spécifique de l’hygiène destinées à l’industrie et à la santé. Karl Enzler a deux filles adultes.

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